Samir Amin: Eurocentrisme, au-delà de la Décolonisation


Si vous voulez vraiment la décolonisation, allez au-delà de la critique culturelle vers les profondes idées structurelles de l’économiste Samir Amin

Texte Original publié en Anglais: Beyond Eurocentrism, If you really want decolonisation, go beyond cultural criticism to the deep structural insights of economist Samir Amin

Ingrid Harvold Kvangraven est chargé de cours (professeur adjoint) en développement international au King’s College de Londres. Elle est rédactrice fondatrice du blog Developing Economics et membre fondatrice du groupe de pilotage du réseau Diversifying and Decolonising Economics .

Edité par Said El Mansour Cherkaoui


Avec la publication d’ Orientalism en 1978, Edward Saïd allait devenir l’un des érudits les plus influents de notre époque. Le livre a transformé l’étude de l’histoire du monde moderne, car il a offert un aperçu de la façon dont les discours racistes ont créé et maintenu les empires européens. Autant pour ses activités politiques, Said et son travail ont attiré un certain nombre de critiques de droite, notamment peut-être Bernard Lewis. Moins connu en Occident est Samir Amin, l’économiste égyptien qui a inventé le terme « eurocentrisme ». Le terme vient du livre d’Amin Eurocentrism (1988), qui critiquait la vision de l’empire de la gauche de Said et offrait une vision alternative, basée non sur la culture ou le discours, mais sur une compréhension matérialiste du capitalisme et de l’impérialisme.

Said a passé la majeure partie de sa carrière dans le Nord, à New York, tandis qu’Amin a passé la majeure partie de sa carrière en Afrique, tentant de construire des institutions universitaires et politiques africaines pour défier les dépendances créées par l’impérialisme. Lorsque j’ai rencontré Amin pour un entretien en 2016, il avait 85 ans et était toujours activement impliqué dans la construction d’institutions alternatives et la remise en question de la théorie sociale eurocentrique. Bien qu’il soit décédé en 2018, son héritage reste extrêmement pertinent.

Dans l’eurocentrisme, Amin a révélé que les affirmations sur la façon dont le capitalisme s’est développé en Europe étaient imparfaites. Il a fait valoir que cette histoire du capitalisme émergeant des caractéristiques européennes endogènes de rationalité et de triomphe – qui continue de dominer la théorie sociale – est déformante. Il déguise la véritable nature du système capitaliste, y compris le rôle de l’impérialisme et du racisme dans son histoire. Plutôt que de représenter une explication scientifique objective, Amin a vu l’idéologie eurocentrique. Pour lui, supposer que le capitalisme puisse se développer dans la périphérie comme il l’a soi-disant fait en Europe est une impossibilité logique. Amin souligne également que le fondement de l’unité culturelle européenne est raciste, étant donné qu’il crée une fausse opposition entre les langues et de fausses dichotomies historiques (par exemple, la Grèce est considérée comme « européenne » et non liée à l’Orient ; le christianisme aussi, est considéré comme européen). En tant que tel, Amin était un critique précoce et sophistiqué des explications culturalistes dans les sciences sociales.

La critique d’Amin de l’eurocentrisme diffère de celle de Said, qui était plus concentré sur la façon dont les représentations culturelles des non-occidentaux sont racistes et nuisibles. En effet, Said et Amin représentent à bien des égards le contraste entre les visions postcoloniales et marxistes de l’impérialisme dans les sciences sociales – l’orientalisme pour l’un, et l’ eurocentrismepour l’autre. Amin, un néo-marxiste, était moins intéressé par les attitudes et la culture, qui préoccupent les postcolonialistes, et plus intéressé par l’eurocentrisme en tant que projet mondial polarisant et idéologique qui renforçait l’impérialisme et les inégalités systémiques en légitimant un système mondial qui expropriait les ressources et exploitait les personnes dans le monde. Sud global. Par exemple, Amin a démontré comment les sciences sociales eurocentriques contribuaient à légitimer les prédations sans restriction du capital, qui avaient de réels impacts matériels. Alors que pour Said, la remise en question des attitudes et de la culture pouvait suffire à défier l’impérialisme, pour Amin qui s’opposait à l’impérialisme, il revenait toujours à la question du capitalisme.

Amin pensait que la critique de Edward Said était trop générale et transhistorique, étant donné qu’elle ne distinguait pas les différentes visions européennes de l’Orient islamique. Cette leçon de Edward Said a obligé Amin à mettre en garde contre le danger d’appliquer trop librement le concept d’eurocentrisme. Pour Amin, l’eurocentrisme était un concept développé à un moment historique précis. Il a également critiqué Edward Said pour n’avoir dénoncé que les préjugés européens – ou l’orientalisme sans “proposer positivement un autre système d’explication des faits dont il faut rendre compte”. C’est en effet précisément ce qu’Amin s’est proposé de faire dans son travail. En exposant une vision plus complète du développement du capitalisme sans préjugés eurocentriques, Amin propose de poursuivre un projet universel exempt de particularisme européen, une « modernité critique de la modernité ». Une telle affirmation peut, bien sûr, également être critiquée du point de vue critique des sciences sociales, étant donné qu’il est sans doute impossible pour toute théorie des sciences sociales de saisir pleinement la réalité de manière impartiale.

L’ Eurocentrisme d’Amin , initialement publié en français en 1988, était entre autres une réponse aux critiques postcoloniales qui rejetaient, presque a priori, les analyses marxistes comme étant eurocentriques. Amin a reconnu que certains aspects du marxisme étaient eurocentriques – comme la présomption téléologique selon laquelle les pays en développement sont simplement à un « stade » antérieur du développement capitaliste et qu’avec le temps, ils rattraperont l’Europe. Mais il a également expliqué comment les concepts marxistes et le matérialisme historique pouvaient fournir de fortes critiques de l’eurocentrisme.

Alors, quelle était son alternative à la science eurocentrique ? 

Du point de vue de la périphérie, Amin a fourni un cadre pour découvrir les structures inégales de l’économie mondiale – que les théories eurocentriques ne peuvent pas fournir.

JVoici deux manières de penser la contribution d’Amin dans le domaine de l’économie du développement. L’un est les concepts spécifiques qu’il a mis en avant et comment ils ont été étendus de diverses manières pour interpréter le monde. L’autre est sa façon d’aborder les sciences sociales, qui recèlent le plus de potentiel pour restructurer l’économie du développement en tant que domaine (tel qu’élaboré dans mon récent article conjoint pour la Revue de l’économie politique africaine ). Commençons par son approche de l’économie politique.

Le concept d’économie politique d’Amin nous pousse à penser de manière structurelle, temporelle, politique et créative aux problèmes économiques mondiaux. Il défie les frontières disciplinaires. Considérons d’abord son attention à la structure. À une époque où une grande partie de l’économie en est venue à s’appuyer soit sur l’individualisme méthodologique, soit sur le nationalisme méthodologique – des approches qui centrent l’individu ou la nation comme l’unité d’analyse la plus pertinente – Amin commence par insister sur le fait que nous pensons structurellement. Il attire l’attention sur les structures mondiales qui sous-tendent un système international d’exploitation. Penser à la structure de l’économie mondiale était en fait ce qui a conduit Amin à apporter d’importantes contributions à la théorie de la dépendance, qui est une tradition centrée sur le Sud qui prend comme point de départ la tendance polarisante du capitalisme et les contraintes qu’il impose au monde postcolonial. Amin a exploré comment l’échange inégal – les inégalités inhérentes au commerce international – était une caractéristique cruciale de l’économie capitaliste mondiale, qui était un héritage du colonialisme et qui continuait de désavantager structurellement les pays du Sud.

Amin a également insisté sur la nécessité de penser temporellement. Il s’est identifié comme faisant partie de l’école du matérialisme historique mondial, dans laquelle la propagation historique du capitalisme mondial est la clé pour comprendre la polarisation entre le centre et la périphérie. L’approche d’Amin était aussi fondamentalement politique. Il n’a jamais nié que son but ultime était de changer le monde pour le mieux. Cela le distingue des économistes travaillant dans la tradition eurocentrique de prétendre que les sciences sociales sont neutres, apolitiques.

Enfin, dans son utilisation des concepts développés dans le noyau métropolitain pour comprendre le monde depuis les marges, Amin était un penseur créatif. Il s’est qualifié de «marxiste créatif» et a souligné qu’il partirait de Karl Marx plutôt que de s’y arrêter. Partir de Marx donne la priorité à la lutte des classes, à l’exploitation et au développement capitaliste inégal ; Amin a étendu ces concepts pour analyser l’impérialisme, l’échange inégal et les tendances polarisantes entre le centre et la périphérie.

Le Nord global s’est approprié environ 62 000 milliards de dollars du Sud global entre 1960 et 2018

Compte tenu de cette approche historique de l’économie politique, il était logique pour Amin d’étendre la théorie de la valeur de Marx pour mieux comprendre l’impérialisme. Dans Accumulation on a World Scale (1974), il a montré que les mécanismes par lesquels la valeur continuait à circuler de la périphérie vers le centre, reproduisant une division internationale du travail et une répartition géographiquement inégale des richesses, provenaient de la colonisation et de ses structures. 

Amin s’est inspiré du livre fondateur des économistes néo-marxistes Paul Baran et Paul Sweezy Monopoly Capital (1966) dans sa conceptualisation de la « rente impérialiste ». Rente impérialiste, pour Amin, dérivée de la plus-value supplémentaire. En d’autres termes, plus de valeur pourrait être extraite des travailleurs grâce à la production dans la périphérie – générant une rente supplémentaire pour le capitaliste, par rapport aux travailleurs du centre effectuant des travaux similaires. Amin a fait valoir que, si les travailleurs faiblement rémunérés de la périphérie ne sont pas moins productifs que leurs homologues du centre, la valeur qu’ils créent est moins récompensée – et c’est ce qui crée une telle rente (impérialiste). Andy Higginbottom et d’autres chercheurs ont depuis étendu la perspicacité d’Amin, appliquant le concept pour démontrer comment les multinationales britanniques et espagnoles ont pu tirer parti du boom des matières premières ; voir aussi le travail de Maria Dyveke Styvesur “L’empire informel de Londres” (2017).


Subcapitalisme par Said El Mansour Cherkaoui

Said El Mansour Cherkaoui avait aussi mené similairement et dans cette lignée d’études en prenant comme objet de critique Andre Gunder Frank et Paul Baran et Paul Sweezy Monopoly Capital (1966) afin de définir une nouvelle théorie nommée “Subcapitalisme”. Cette phase du nouveau essor du Capitalisme adaptant les conditions de production locales et celles liées a la demande des pays métropolitains avait aiguisé et orienté une nouvelle trajectoire d’évolution du Capitalisme et ses rapports de transformation avec les économies du Sud et les Pays formant le reste de l’économie mondiale comme partenaires commerciaux et lieu d’investissement ou bien avec des rapports en tant que pays colonisés.

02/03/2016 à 09:05 par Said EL Mansour Cherkaoui

Le Capitalisme se réinvente a travers le Subcapitalisme, la théorie sur l’émergence de nouvelles formes d’internationalisation du capital que j’ai en premier élaboré au sein de l’Institut de Recherches Economiques et de Planification du Développement [IREP], Université de Grenoble, et que j’avais continué pendant une année comme Visiting Researcher at the Center of Latin American Studies [CLAS] at the University of Berkeley.

De retour en France, je fus integre par Prof. Celso Furtado au sein de l’Institut des Hautes Etudes d’Amérique Latine [IHEAL] et par Prof. Raymond Prats au Centre de Documentation et de Recherche sur l’Amerique Latine [CREDAL] avec le Laboratoire 111 Associé au Centre National de la Recherche Scientifique, [CNRS] ou j’ai continué ma recherche et dont un extrait sur l’Etat et les Grands Groupes d’Intérêt Privés au Brésil fut publié en 1985 par le CNRS avec ce titre:

La relation ambivalente entre l’etat fédéral et les grands groupes d’intérêts privés au Brésil dans la première moitié du XXème siècle Said El Mansour Cherkaoui, Centre de Recherche et Documentation Sur l’Amerique Latine et Centre National de la Recherche Scientifique

J’ai continue ma recherche aux Etats Unis et au bout de 14 ans de travail assidu et de recherche, les résultats de ces longues études et de rédaction furent défendus au cours de la soutenance de ma these de doctorat dans l’enceinte de l’Université de Sorbonne et dont l’intitulée et le résumé sont:

Économie politique du subcapitalisme en Amérique latine: (1830-1930); Argentine, Brésil, Chili, Pérou Université Paris III, Sorbonne Nouvelle. Institut des Hautes Études de l’Amérique latine. 1992. Localisation : Centre Technique Livre Ens. Sup. ; Paris3-BU

La période de l’étude se situe entre 1830 et 1930 dont le choix fut déterminé par les transformations connues par l’Amérique latine durant ce siècle. L’Argentine, le Brésil, le Chili et le Pérou furent parmi les pays les plus marqués par une intégration d’ordre libéral dans le marché financier et commercial international et par une diversification relative des termes de la collaboration de leurs États et leurs classes oligarchiques et dirigeantes avec les tenants des finances internationales.

La formulation du nouveau concept sur le développement subcapitaliste et de la théorie sur le subcapitalisme fut élaboré sur l’analyse des causes et des conséquences de l’internationalisation du capital sous la forme de la dette extérieure et de l’investissement direct étranger. Une critique des concepts de développement capitaliste, de retard économique, d’absence de capital et de marché dans les pays d’Amérique latine et dans ceux demeurés dans une mouvance coloniale est conduite à travers une analyse critique des travaux de Paul Baran et surtout ceux d’André Gunder Frank.

Le subcapitalisme complète le capitalisme pour former une économie mondiale hiérarchisée, inégale et homogène.

Économie / Histoire / Capitalisme / Investissement / Dette extérieure / Développement / Commerce

Said El Mansour Cherkaoui entreprit sa recherche sur le Subcapitalisme pendant 14 ans de recherches a travers le monde, pour céer une nouvelle theorie nommée le “Subcapitalisme” et cela a travers ses travaux de recherche a l’IREP de Grenoble, IHEAL / CREDAL Laboratoire 111 associé au CNRS et comme These Doctorale a l’Universite de la Sorbonne, voir details dans les liens et les documents suivants:

TITLEYEAR
Économie politique du subcapitalisme en Amérique latine: (1830-1930); Argentine, Brésil, Chili, Pérou Said El Mansour Cherkaoui1992
Historical Dictionary of European Imperialism Said El Mansour Cherkaoui, E James S. Olson1991
The structural causes of the Gulf crisis and the quest for a peaceful solution in the Middle East Said El Mansour Cherkaoui, La Comunità Internazionale, Società Italiana Organizzazione Internazionale …1991
La relation ambivalente entre l’etat fédéral et les grands groupes d’intérêts privés au Brésil dans la première moitié du XXème siècle Said El Mansour Cherkaoui, Centre de Recherche et Documentation Sur l’Amerique Latine1985

La relation ambivalente entre l’Etat fédéral et les groupes d’intérêts privés au Brésil dans la première moitié du XXème siècle By Said el-Mansour Cherkaoui · 1985 Said El Mansour Cherkaoui

Economie politique du subcapitalisme en Amérique latine (1830-1930): Argentine-Brésil-Chili-Pérou -Said El Mansour Cherkaoui 1992 – 806 pages Said El Mansour Cherkaoui
l’IREP de Grenoble: Institut de Recherches Economiques et de Planification du Developpement, Universite de Grenoble – IHEAL / CREDAL Laboratoire 111 associe au CNRS: Institut des Hautes Etudes sur l’Amerique Latine – Centre de Recherches et de Documentation sur l’Amerique Latine, Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, France.

Le colonialisme a façonné les économies postcoloniales de telle sorte que l’accumulation s’est déroulée de manière particulièrement inégale – ou inégale. Dans Unequal Development (1976), Amin distingue deux types d’accumulation différents, l’un qu’il appelle « l’accumulation autocentrique », qui a lieu dans le noyau et favorise la reproduction élargie du capital. La périphérie, en revanche, était caractérisée par ce qu’il appelait « l’accumulation extravertie », un type qui ne se prêtait pas à la reproduction du capital. Il a fait valoir que le développement inégal a évolué historiquement en créant des structures d’exploitation, qui se sont manifestées à l’époque contemporaine par des échanges inégaux. Cela a conduit à son tour à une polarisation continue et à une inégalité accrue.

« L’échange inégal » dans Amin était une tentative d’expliquer globalement la non-égalisation des prix des facteurs, où le prix des facteurs fait référence à la rémunération du travail ou d’autres facteurs primaires non produits. Cela signifie que la main-d’œuvre, les matières premières et la terre sont moins chères dans la périphérie. Il a appelé la sous-évaluation de la main-d’œuvre dans la périphérie « surexploitation ». Pour Amin, l’échange inégal était le résultat de l’extension du capital monopoliste à la périphérie à la recherche de super-profits (ou rente impérialiste).

Amin a changé les termes des débats sur l’échange inégal. Jusqu’à ses travaux, l’orthodoxie parmi les économistes était que les travailleurs de la périphérie sont tout simplement moins productifs que ceux du centre. Il est important de noter que l’idée d’échange inégal et de « sur »-exploitation reste controversée chez les marxistes. Dans Das Kapital (1867), Marx lui-même discute de la futilité des comparaisons entre différents degrés d’exploitation dans différentes nations, et des problèmes méthodologiques importants qui se posent. De nombreux marxistes soutiennent que les néo-marxistes tels qu’Amin se sont concentrés de manière excessive sur les relations de marché au détriment de l’exploitation du travail.

En plus de participer à ces débats théoriques, Amin a été parmi les premiers à tenter de mesurer empiriquement les échanges inégaux. Beaucoup ont suivi ses traces depuis, comme Jason Hickel, Dylan Sullivan et Huzaifa Zoomkawala, dont les recherches en 2021 ont révélé que le Nord global s’est approprié environ 62 000 milliards de dollars du Sud global entre 1960 et 2018 ( dollars américains constants de 2011). En explorant une gamme de méthodes différentes pour calculer l’échange inégal, Hickel et al constatent que, quelle que soit la méthode, l’intensité de l’exploitation et l’ampleur de l’échange inégal ont augmenté de manière significative depuis les années 1980 et 1990.

Amin a également consacré beaucoup de temps à réfléchir aux moyens de changer un système injuste. Il était fortement impliqué dans l’activisme et a développé des concepts théoriques pour effectuer un changement politique. La plus connue est l’idée d’Amin de « dissocier » – sur laquelle il a publié un livre. Delinking: Towards a Polycentric World (1990) propose une évaluation des voies possibles pour un État souverain dans la périphérie. Dans Delinking , Amin soutient que les conditions spécifiques qui ont permis l’avancement du capitalisme en Europe occidentale au XIXe siècle ne sont pas reproductibles ailleurs. Ainsi, il a proposé un nouveau modèle d’industrialisation façonné par le renouvellement des formes non capitalistes d’agriculture paysanne, ce qui, selon lui, impliquerait de se déconnecter des impératifs du capitalisme mondialisé.

Il est important de noter que la dissociation est souvent interprétée à tort comme signifiant l’autarcie, ou un système d’autosuffisance et de commerce limité. Mais c’est une fausse déclaration. La déconnexion ne nécessite pas de couper tous les liens avec le reste de l’économie mondiale, mais plutôt le refus de soumettre les stratégies de développement national aux impératifs de la mondialisation. Elle vise à imposer une économie politique adaptée à ses besoins, plutôt que de se contenter de s’adapter unilatéralement aux besoins du système mondial. Pour atteindre cet objectif de plus grande souveraineté, un pays développerait ses propres systèmes de production et donnerait la priorité aux besoins du peuple plutôt qu’aux exigences du capital international.

À mesure que le monde devient de plus en plus interconnecté, les possibilités de déconnexion deviennent plus difficiles

Dans mon entretien avec lui avant sa mort, Amin a souligné l’importance de la réalité économique politique spécifique d’un pays donné pour comprendre et situer les possibilités de déconnexion. À l’époque, avec une précision étrange, Amin estimait que “si vous pouvez atteindre 70 % de déconnexion, vous aurez fait un excellent travail”. Il a souligné qu’un pays fort qui est, pour des raisons historiques, relativement stable et doté d’une certaine puissance militaire et économique aura plus de poids pour se dissocier. Ainsi, alors que la Chine peut être en mesure d’atteindre 70 % de déconnexion, un petit pays comme le Sénégal aura du mal à atteindre le même degré d’indépendance.

La déconnexion implique le rejet des appels à s’adapter à l’avantage comparatif d’un pays et à d’autres formes de satisfaction des intérêts étrangers. C’est, bien sûr, plus facile à dire qu’à faire. Amin a noté qu’il faudrait à la fois un soutien national fort pour un tel projet national et une forte coopération Sud-Sud comme alternative aux relations économiques d’exploitation entre le centre et la périphérie. D’autres aspects de la déconnexion impliqueraient des investissements dans des projets à long terme, tels que les infrastructures, dans le but d’améliorer la qualité de vie de la plupart des habitants du pays, plutôt que de maximiser la consommation ou les bénéfices à court terme.

Plusieurs chercheurs ont plus récemment étudié les trajectoires de développement historique en relation avec la question de la déconnexion. Par exemple, en 2020, Francesco Macheda et Roberto Nadalini ont appliqué les considérations pour essayer de comprendre la trajectoire de développement de la Chine, tandis qu’en 2021, Francisco Pérez les a appliquées pour comprendre le développement économique en Asie de l’Est. Cependant, à mesure que le monde devient de plus en plus interconnecté, les possibilités de déconnexion deviennent plus difficiles.

ONous sommes à un moment où il est devenu à la mode pour les universités du Nord d’ exprimer une volonté de « décoloniser l’université ». Alors que de nombreux chercheurs se précipitent vers l’ orientalisme de Saïd pour comprendre comment procéder, le travail et l’engagement d’Amin envers une science sociale centrée sur le Sud peuvent offrir une approche plus radicale. À la suite de Said, une grande partie de l’engagement à décoloniser les sciences sociales s’est limité à remettre en question les tropes racistes et les représentations eurocentriques dans le programme et le discours académique. Ceci est important à un moment où les programmes sont devenus de plus en plus étroits, eurocentriques et avec un grave manque de diversité, en particulier en économie. Alors, qu’est-ce qu’une perspective aminienne ajouterait aux débats sur la décolonisation de l’économie au-delà de la contribution de Saïd ?

Premièrement, l’attention d’Amin sur la façon dont les héritages coloniaux ont façonné les structures économiques et sociales de l’économie mondiale de diverses manières a ouvert la porte à une mine d’érudition sur les héritages coloniaux, l’impérialisme et l’échange inégal. Dans la perspective de la décolonisation des universités, Amin pourrait alors faire intervenir la nécessité de promouvoir des conceptions du monde centrées sur le Sud, ainsi que des conceptions alternatives du capitalisme. C’est important parce que la recherche qui adopte une approche critique du capitalisme a été largement marginalisée dans les programmes d’économie du monde entier.

Quand Amin a soutenu sa thèse de doctorat à Sciences Po à Paris en 1957, c’était une époque où il était possible d’obtenir un doctorat en économie en étendant les concepts marxistes aux institutions d’élite. Quelques années plus tôt, en 1951, Baran, un économiste marxiste, avait été promu professeur titulaire à l’université de Stanford en Californie, peu après que Sweezy, un autre économiste marxiste, ait pris sa retraite de l’université de Harvard dans le Massachusetts en 1947. À ce moment-là, des universitaires radicaux à travers le monde proposaient des explications nouvelles et concurrentes pour les tendances polarisantes du capitalisme. Il y avait un intérêt particulier à réinterpréter Marx dans une perspective du monde postcolonial, des universitaires indiens au Brésil. C’était aussi une époque où la conférence de Bandung – un rassemblement en Indonésie en 1955 de représentants de 29 pays asiatiques et africains nouvellement indépendants pour construire des alliances autour du développement économique et de la décolonisation – offrait de l’optimisme à ceux qui s’opposaient au colonialisme et au néocolonialisme.

Amin peut nous aider à voir les fondements idéologiques de l’économie dominante

Les débats du milieu du XXe siècle sur l’eurocentrisme ont évolué à partir de véritables luttes matérielles contre les relations coloniales et néocoloniales, qui contrastent avec le champ contemporain de l’économie, où l’analyse a été réduite à ce qui peut être étudié dans le cadre de l’économie néoclassique et avec certaines méthodes économétriques acceptées. D’un point de vue aminien, la décolonisation de l’université devrait faire de la place aux types d’érudition radicale – qui examinent de manière critique le rôle du système capitaliste lui-même dans la production d’inégalités et d’injustices mondiales – qui étaient possibles au milieu du XXe siècle.

Deuxièmement, Amin peut nous aider à voir les fondements idéologiques de l’économie dominante, ainsi que la théorisation des sciences sociales au sens large. En cela, il nous donne le point de départ nécessaire pour défier un domaine qui reste eurocentrique. Troisièmement, nous pouvons également tirer des leçons importantes d’Amin en matière de stratégie. Il n’a pas beaucoup collaboré avec les universités d’élite du noyau dur. Il était un panafricaniste et un citoyen du monde en développement, et il a consacré sa vie à la construction d’institutions politiques et intellectuelles en Afrique. Cela contraste avec de nombreuses initiatives des universités du centre qui tentent d’intégrer des chercheurs de la périphérie dans leurs institutions (souvent eurocentriques), plutôt que de soutenir les institutions et les épistémologies du Sud.

Enfin, Amin a toujours lié son travail à de véritables luttes matérielles – la nécessité de s’opposer aux sciences sociales eurocentriques était importante car elle exposerait la dimension coloniale du système économique mondial. Ceci est important dans le contexte des appels à la décolonisation de l’université souvent menés isolément des luttes sociales plus larges liées à la décolonisation. Le travail d’Amin sert donc de rappel crucial que la colonisation était une question de ressources matérielles et que la décolonisation ne peut donc pas être accomplie uniquement par des changements épistémologiques.

Économie Histoire globale Penseurs et théories 15 avril 2022

Texte Original publié en Anglais: Beyond Eurocentrism, If you really want decolonisation, go beyond cultural criticism to the deep structural insights of economist Samir Amin

Edité par Said El Mansour Cherkaoui


3 janvier 2015

Les nouveaux défis de l’Amérique latine

Samir AMIN

Le continent américain a été la première région intégrée dans le capitalisme mondial naissant [1]. C’est également la première à avoir été façonnée comme périphérie des centres européens atlantiques en constitution. Ce façonnement a été d’une brutalité sans pareille.

Les Anglais ont ici (comme en Australie et en Nouvelle-Zélande) tout simplement procédé au génocide complet des Indiens, les Espagnols à leur réduction à un statut proche de l’esclavage. En dépit des effets démographiques catastrophiques de ces politiques, la présence indienne n’a pas été effacée. Les Portugais et les Français ont complété l’œuvre de façonnement du continent par la traite des esclaves. L’exploitation de cette première périphérie du capitalisme historique était fondée sur la construction d’un système de production pour l’exportation de produits agricoles (sucre, coton) et de produits miniers.

L’indépendance, conquise par les classes dirigeantes locales blanches, n’a rien changé à cette vocation. L’Amérique latine, avec encore aujourd’hui seulement 8,4 % de la population mondiale, comme l’Afrique, constituent les deux régions du monde où se conjuguent un faible peuplement relatif (par comparaison avec l’Asie de l’Est, du Sud et du Sud-Est) et une richesse fabuleuse en ressources naturelles (en terres arables potentielles et en richesses du sous sol). Elles ont de ce fait vocation à être et à demeurer des zones soumises au pillage systématique et à grande échelle de ces ressources au seul bénéfice de l’accumulation du capital dans les centres dominants, l’Europe et les Etats Unis.

Les formes politiques et sociales construites pour servir cette vocation ont bien entendu évolué avec les siècles ; mais elles sont demeurées conçues à chaque étape, jusqu’aujourd’hui, pour la servir. Au XIXe siècle, l’intégration de l’Amérique latine dans le capitalisme mondial reposait d’une part sur l’exploitation de ses paysans, réduits au statut de péons soumis par l’exercice des pratiques sauvages des pouvoirs exercés directement par les grands propriétaires fonciers et, d’autre part, sur l’exploitation de ses mines par les premières grandes compagnies minières européennes et états-uniennes. Le système de Porfirio Diaz [2] au Mexique en constitue un bel exemple.

L’approfondissement de cette intégration au XXe siècle a produit la « modernisation de la pauvreté ». L’exode rural accéléré, plus marqué et plus précoce en Amérique latine qu’en Asie et en Afrique, a substitué aux formes anciennes de la pauvreté rurale celles du monde contemporain des favelas urbaines. En parallèle, les formes du contrôle politique des masses ont été à leur tour « modernisées » par la mise en place de dictatures « para-fascistes » (abolition de la démocratie électorale, interdiction des partis et des syndicats, octroi à des services spéciaux « modernisés » par leurs techniques de renseignement du droit d’arrêter, de torturer, de faire disparaître tout opposant réel ou potentiel). Des dictatures au service du bloc réactionnaire local (latifundiaires, bourgeoisies compradore, classes moyennes bénéficiaires de ce mode de lumpen développement) et du capital étranger dominant, en l’occurrence celui des Etats-Unis.

Le continent conserve jusqu’à ce jour les marques de la surexploitation sauvage à laquelle il est soumis. Les inégalités sociales y sont extrêmes, plus encore qu’ailleurs. Le Brésil est un pays riche (le rapport terres arables/population y est dix-sept fois meilleur qu’en Chine) où on ne voit que des pauvres ; la Chine est un pays pauvre où on voit beaucoup moins de déchéance extrême, ai-je écrit. Mais au Brésil, conséquence de son développement capitaliste périphérique précoce et profond, il n’y a plus que 10 % de ruraux : la pauvreté est désormais urbaine. Au Venezuela, le pétrole a intégralement détruit l’économie et la société : il n’y a plus ni agriculture, ni industries, tout est importé. Très riches et très pauvres vivent – ou survivent – de la seule rente pétrolière.

Dans ces conditions, la reconstruction d’une agriculture capable d’assurer la souveraineté alimentaire comme la construction de systèmes industriels cohérents et efficaces exigera la mise en œuvre de politiques systématiques de longue haleine spécifiques, certainement différentes de celles qu’on pourrait imaginer en Asie et en Afrique.

Des avancées révolutionnaires remarquables

Le contraste est ici également visible, entre les avancées conséquentes conquises par les luttes populaires en Amérique du Sud au cours des trente dernières années et leur absence en Asie (Chine, Taïwan et Corée faisant exception) et en Afrique.

A l’origine de ces avancées : la mise en déroute des dictatures des années 1960-1970 par d’immenses mouvements populaires urbains. Initiée au Brésil par la présidence de Fernando Henrique Cardoso, approfondie par celle de Lula (2003), par la première victoire électorale de Chavez (1999), la maturation de la revendication de la démocratie est incontestablement en avance en Amérique latine. Cette revendication ne concerne plus quelques segments des classes moyennes, mais désormais la grande majorité des classes populaires, urbaines et rurales. Elle a permis des victoires électorales en Bolivie, en Equateur, en Argentine, en Uruguay (ce qui constitue l’exception dans l’histoire ancienne et récente et non la règle !) qui ont porté au gouvernement une nouvelle génération de dirigeants, dont les cultures politiques progressistes n’ont plus rien à voir avec celle des XIXe et XXe siècles. Une génération de dirigeants qui ont osé amorcer la remise en cause des politiques économiques et sociales réactionnaires du néolibéralisme, au plan intérieur tout au moins, sans que, malheureusement (et c’est là leur limite) cette remise en question n’ait modifié le mode d’insertion des pays concernés dans le capitalisme global.

Acquis positifs majeurs incontestables : l’amorce de la rénovation de la gestion démocratique de la politique (budgets participatifs, référendums révocatoires, etc.) ; la mise en place de politiques sociales correctives (mais plus par la redistribution que par le développement d’activités productives nouvelles) ; enfin la reconnaissance du caractère multinational des nations andines.

Ces acquis se sont conjugués avec les efforts de l’Amérique latine pour se libérer de la tutelle politique des Etats-Unis – formulée par la doctrine Monroe – malheureusement sans pour autant réduire la dépendance économique du continent. L’organisation des Etats américains (OEA) – le « ministère des colonies de Washington » – a du plomb dans l’aile depuis la constitution de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba, 2004) et de la Communauté des Etats d’Amérique latine et de la Caraïbe (Celac, 2011) – cette dernière rassemblant tous les Etats du sous-continent, mais excluant les Etats-Unis et le Canada. Le Mexique – soumis aux exigences du marché intégré nord américain – a commis de ce fait ce que j’ai osé qualifier de « suicide national » qui ne pourra être surmonté que par une grande révolution nationale et populaire, comme celle des années 1910-1920.

Les limites de ces premières avancées sont néanmoins évidentes : la région non seulement demeure vouée à l’échelle globale à la production primaire (75% de ses exportations encore aujourd’hui, alors que l’Asie – la Chine en premier lieu – progresse à vive allure dans l’industrialisation et dans l’exportation compétitive de produits manufacturés), mais on assiste à même à une « re-primatisation » de son économie (le modèle « extractiviste »). Le succès conjoncturel de l’exportation de produits primaires, la liquidation de l’endettement extérieur massif qu’il a permis, alimentent une illusion dangereuse : celle que le progrès politique et social pourrait être poursuivi sans sortir de la mondialisation telle qu’elle est.

Les limites et contradictions des avancées de l’Amérique latine interpellent la pensée sociale progressiste contemporaine. Ces avancées ont été produites par un mouvement populaire civil puissant, en rupture avec les formes anciennes de luttes conduites par des partis (communistes ou populistes) et avec l’expérience des luttes armées des années 1960-1970. J’ai proposé à cet effet un cadre d’analyse dont je rappelle ici seulement les très grandes lignes. Je parle de « prolétarisation généralisée et simultanément segmentée à l’extrême ». Il s’agit bien d’une prolétarisation, au sens que tous les travailleurs (formels et informels) n’ont rien d’autre à vendre que leur force de travail, y compris leurs capacités « cognitives » s’il y a lieu. La segmentation est, elle, largement produite par des stratégies systématiques mises en œuvre par les monopoles généralisés qui contrôlent le système économique considéré dans son ensemble, l’orientation de la recherche et de l’invention technologiques, le pouvoir politique. De surcroît, la garantie de permanence du contrôle étroit des monopoles généralisés de la triade impérialiste (Etats-Unis, Europe, Japon) est recherchée par une géostratégie de déploiement du contrôle militaire de la planète par les forces armées des Etats-Unis et de leurs alliés subalternes (Otan et Japon). Cette analyse vient en contrepoint de celle de Michael Hardt et de Antonio Negri dont je critique l’insistance démesurée sur la portée des effets de la « liberté » mise en œuvre dans les luttes de résistance de la « multitude » (terme flou pour cacher la prolétarisation), comme leur erreur de jugement sur la politique de Washington, dont le projet militaire aurait, selon eux, déjà « échoué », alors que, à mon avis, l’establishment n’a absolument pas renoncé à sa poursuite (et Hillary Clinton, si elle est élue, accentuerait cette fuite en avant).

Des défis formidables à surmonter

Les avancées des trente dernières années ont créée des conditions favorables permettant leur poursuite et leur approfondissement. Mais il y a des conditions pour que ce possible devienne réalité. J’en synthétise la nature en proposant la mise en œuvre de « projets souverains associant la construction de systèmes industriels modernes cohérents, la reconstruction de l’agriculture et du monde rural, la consolidation de progrès sociaux et l’ouverture à l’invention d’une démocratisation progressive et sans fin ». Mon insistance sur la souveraineté nationale, qu’il faut savoir associer à celle des classes populaires et non accepter de la dissocier de celle-ci, vient également en contrepoint du discours de Negri, qui estime dépassées l’affirmation de la nation et la construction d’un système mondial pluricentrique. A mon avis, ces objectifs sont loin d’être « dépassés » – certainement pas encore ! L’imaginer rend impossible la construction de stratégies d’étapes efficaces.

La reconstruction de l’agriculture – dans la perspective de la consolidation de la souveraineté alimentaire – imposera des formules de politiques différentes d’un pays à l’autre. Lorsque l’urbanisation absorbe 80% (ou plus) de la population, il devient illusoire d’imaginer possible un « renvoi à la terre » de travailleurs urbains paupérisés. Il faut envisager un mode de reconstruction très différent de celui qui est toujours possible et nécessaire en Asie et en Afrique. Néanmoins, cette reconstruction implique l’abandon des politiques toujours en cours, fondées sur la grande exploitation qui gaspille les terres (dans le modèle argentin en particulier). Dans les pays andins et au Mexique, la reconstruction ne peut être fondée sur la reconstruction illusoire des communautés indiennes du passé, dont on ne peut ignorer ni qu’elles ne répondent pas aux exigences d’avenir, ni qu’elles ont été défigurées par leur soumission aux exigences du lumpen développement périphérique spécifique aux pays en question.

La construction de systèmes industriels modernes et autocentrés (orienté vers le marché interne populaire et seulement accessoirement vers l’exportation) peut être imaginée pour le Brésil, peut-être pour l’Argentine, certainement pour le Mexique s’il parvient à sortir des griffes de l’intégration nord-américaine. Mais les politiques à l’œuvre se situent bien en deçà des exigences de cette construction, et ne sortent pas des limites imposées par les segments du grand capital national industriel et financier dominant associé aux monopoles des pays impérialistes. Nationalisation/étatisations et interventions actives de l’Etat sont incontournables, au moins pour cette première étape, ouvrant alors la route à la possibilité d’une socialisation réelle et progressive de leur gestion.

Pour les autres pays du continent, j’imagine mal des avancées dans la construction industrielle sans intégration régionale systématique (et elle ne l’est pas encore à ce jour) et même sans la construction de nouvelles solidarités à l’échelle du « Grand Sud » (les trois continents). La Chine seule – et peut-être quelques autres pays dits « émergents » – pourrait soutenir ici des projets d’industrialisation d’envergure (pour le Venezuela par exemple). Mais cela implique que Pékin comprenne que son intérêt est de le faire, ce qui n’est pas le cas. La complicité latente entre les pouvoirs latino-américains tablant toujours sur leurs richesses naturelles et la Chine qui a besoin d’accéder à ces ressources retarde chez les uns et les autres la prise de conscience des exigences à long terme d’une autre perspective, laquelle exige à son tour d’autres formes de « coopération » que celles mises en œuvre jusqu’à ce jour.

On en revient alors aux défis auxquels « le mouvement populaire progressiste » est confronté en Amérique latine, comme ailleurs dans les trois continents : dépasser la singularité des revendications de ses composantes en lutte, inventer les formes politiques nouvelles de la construction de l’unité dans la diversité.

Notes

[1] Ce texte a été inspiré par la lecture du livre de Christophe Ventura, L’éveil d’un continent – Géopolitique de l’Amérique latine et de la Caraïbe, Editions Armand Colin, Paris, juin 2014. Une version est également disponible sur mon blog.

[2] Dirigeant du Mexique de 1876 à 1911.

»»http://www.medelu.org/Les-nouveaux-defis-de-l-Amerique

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 Samir AMIN

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Commentaires

02/03/2016 à 09:05 par Said EL Mansour Cherkaoui

Le Capitalisme se réinvente a travers le Subcapitalisme, la théorie que j’ai crée au sein de l’Institut de Recherches Economiques et de Planification, Universite de Grenoble et défendu au cours de la soutenance de ma these de doctorat dans l’enceinte de l’University of Paris III : Sorbonne Nouvelle dont l’intitulée et le résumé sont: :

Économie politique du subcapitalisme en Amérique latine (1830-1930) : Argentine, Brésil, Chili, Pérou Université Paris III, Sorbonne Nouvelle. Institut des Hautes Études de l’Amérique latine. 1992. Localisation : Centre Technique Livre Ens. Sup. ; Paris3-BU

La période de l’étude se situe entre 1830 et 1930 dont le choix fut déterminé par les transformations connues par l’Amérique latine durant ce siècle. L’Argentine, le Brésil, le Chili et le Pérou furent parmi les pays les plus marqués par une intégration d’ordre libéral dans le marché financier et commercial international et par une diversification relative des termes de la collaboration de leurs États et leurs classes oligarchiques et dirigeantes avec les tenants des finances internationales.

La formulation du nouveau concept sur le développement subcapitaliste et de la théorie sur le subcapitalisme fut élaboré sur l’analyse des causes et des conséquences de l’internationalisation du capital sous la forme de la dette extérieure et de l’investissement direct étranger. Une critique des concepts de développement capitaliste, de retard économique, d’absence de capital et de marché dans les pays d’Amérique latine et dans ceux demeurés dans une mouvance coloniale est conduite à travers une analyse critique des travaux de Paul Baran et surtout ceux d’André Gunder Frank.

Le subcapitalisme complète le capitalisme pour former une économie mondiale hiérarchisée, inégale et homogène.

Économie / Histoire / Capitalisme / Investissement / Dette extérieure / Développement / Commerce

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L’opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir.


Samir Amin : penseur de l’anti-impérialisme et de la souveraineté économique


Samir Amin est décédé le 12 août 2018. Il a laissé derrière lui une œuvre considérable, plus de cinquante ouvrages. Il se définit comme un « économiste politique » qui intègre l’économie dans la vie sociale ». Il s’inscrit dans la tradition de l’école de « l’économie politique » au sens classique du terme. Il se définit aussi comme un économiste marxiste. Selon lui, « On a besoin de Marx pour comprendre le monde d’aujourd’hui…” la suite de cet article se trouve dans ce lien:


http://www.ledmaroc.ma/pages/documents/pt_bouslikhane_10_7_19.pdf


Mohamed Bouslikhane | 10 Juillet 2019

World acclaimed Egyptian economist and thinker, Samir Amin, has died on Sunday in Paris. He was 86.

Amin was born in Egypt in 1931 to an Egyptian father and a French mother and spent his youth in Port Said. After studying in Egypt, he continued his diploma in political science in Paris in 1952, before getting a degree in statistics and then a doctorate in economics.

He worked first in Cairo at the Institute for Economic Management from 1957 to 1960 then moved between countries until becoming director of the Third World Forum in Dakar, Senegal in 1980.

He authored many books including The Liberal Virus 2003, A Life Looking Forward 2006, Accumulation on a World Scale 1970, and Capitalism in the Age of Globalization 1997.

In an interview with Ahram Online in 2012 Samir Amin said that he believes that “this neo-liberal phase is in a state of collapse. It doesn’t mean that capitalism is collapsing; but that its current form is collapsing and we’re entering a new phase. It has to adapt, and whether the new system will be biased to the ruling class or the masses, is still to be revealed.”

He also said “We should not just look at the Muslim Brotherhood as a political Islamist power but as a backward movement that rejects workers movements and social justice, preferring to talk about charity as a form to ensure their control over the people.  The Islamists accept the policies of dependency under the guise of open market and private ownership rights; they openly accepted the American role in the region and the USA support for Israel, including the Camp David agreements.”

https://english.ahram.org.

Quelques Publications de Samir Amin

  • Accumulation on a World Scale, 1970.
  • Neo-Colonialism in West Africa, 1971.
  • Unequal Development, 1973.
  • L’échange inégal et la loi de la valeur, 1973.
  • Imperialism and Unequal Development, 1976.
  • The Arab Nation, 1976.
  • The Law of Value and Historical Materialism, 1977.
  • Class and Nation, Historically and in the Current Crisis, 1979.
  • The Arab Economy Today, 1980.
  • The Future of Maoism, 1981.
  • The Dynamics of Global Crisis, with G. Arrighi, A.G. Frank and I. Wallerstein, 1982.
  • Delinking, 1985.
  • Eurocentrism, 1988.
  • Maldevelopment in Africa and in the Third World, 1989.
  • L’empire du chaos, 1991.

Publications

  • 1957, Les effets structurels de l’intégration internationale des économies précapitalistes. Une étude théorique du mécanisme qui an engendré les éonomies dites sous-développées (thesis)
  • 1965, Trois expériences africaines de développement: le Mali, la Guinée et le Ghana
  • 1966, L’économie du Maghreb, 2 vols.
  • 1967, Le développement du capitalisme en Côte d’Ivoire
  • 1969, Le monde des affaires sénégalais
  • 1969, The Class Struggle in Africa [1]
  • 1970, Le Maghreb moderne (translation: The Magrheb in the Modern World)
  • 1970, L’accumulation à l’échelle mondiale (translation: Accumulation on a world scale)
  • 1970, with C. Coquery-Vidrovitch, Histoire économique du Congo 1880–1968
  • 1971, L’Afrique de l’Ouest bloquée
  • 1973, Le développement inégal (translation: Unequal development)
  • 1973, L’échange inégal et la loi de la valeur
  • 1973, Neocolonialism in West Africa [2]
  • 1973, ‘Le developpement inegal. Essai sur les formations sociales du capitalisme peripherique’ Paris: Editions de Minuit.
  • 1974, with K. Vergopoulos: La question paysanne et le capitalisme
  • 1975, with A. Faire, M. Hussein and G. Massiah: La crise de l‘impérialisme
  • 1976, ‘Unequal Development: An Essay on the Social Formations of Peripheral Capitalism’ New York: Monthly Review Press.
  • 1976, L’impérialisme et le développement inégal (translation: Imperialism and unequal development)
  • 1976, La nation arabe (translation: The Arab Nation)
  • 1977, La loi de la valeur et le matérialisme historique (translation: The law of value and historical materialism)
  • 1979, Classe et nation dans l’histoire et la crise contemporaine (translation: Class and nation, historically and in the current crisis)
  • 1980, L’économie arabe contemporaine (translation: The Arab economy today)
  • 1981, L’avenir du Maoïsme (translation: The Future of Maoism)
  • 1982, Irak et Syrie 1960–1980
  • 1982, with G. Arrighi, A. G. Frank and I. Wallerstein): La crise, quelle crise? (translation: Crisis, what crisis?)
  • 1984, ‘Was kommt nach der Neuen Internationalen Wirtschaftsordnung? Die Zukunft der Weltwirtschaft’ in ‘Rote Markierungen International’ (Fischer H. and Jankowitsch P. (Eds.)), pp. 89–110, Vienna: Europaverlag.
  • 1984, Transforming the world-economy? : nine critical essays on the new international economic order.
  • 1985, La déconnexion (translation: Delinking: towards a polycentric world)
  • 1988, Impérialisme et sous-développement en Afrique (expanded edition of 1976)
  • 1988, L’eurocentrisme (translation: Eurocentrism)
  • 1988, with F. Yachir: La Méditerranée dans le système mondial
  • 1989, La faillite du développement en Afrique et dans le tiers monde
  • 1990, with Andre Gunder Frank, Giovanni Arrighi and Immanuel Wallerstein: Transforming the revolution: social movements and the world system
  • 1990, Itinéraire intellectuel; regards sur le demi-siècle 1945-90 (translation: Re-reading the post-war period: an Intellectual Itinerary)
  • 1991, L’Empire du chaos (translation: Empire of chaos)
  • 1991, Les enjeux stratégiques en Méditerranée
  • 1991, with G. Arrighi, A. G. Frank et I. Wallerstein): Le grand tumulte
  • 1992, ‘Empire of Chaos’ New York: Monthly Review Press. [3]
  • 1994, L’Ethnie à l’assaut des nations
  • 1995, La gestion capitaliste de la crise
  • 1996, Les défis de la mondialisation
  • 1997, ‘Die Zukunft des Weltsystems. Herausforderungen der Globalisierung. Herausgegeben und aus dem Franzoesischen uebersetzt von Joachim Wilke’ Hamburg: VSA.
  • 1997, Critique de l’air du temps
  • 1999, “Judaism, Christianity, and Islam: An Introductory Approach to their Real or Supposed Specificities by a Non-Theologian” in “Global Capitalism, Liberation Theology, and the Social Sciences: An Analysis of the Contradictions of Modernity at the Turn of the Millennium” (Andreas Mueller, Arno Tausch and Paul Zulehner (Eds.)), Nova Science Publishers, Hauppauge, Commack, New York
  • 1999, Spectres of capitalism: a critique of current intellectual fashions
  • 2000, L’hégémonisme des États-Unis et l’effacement du projet européen
  • 2002, Mondialisation, comprendre pour agir
  • 2003, Obsolescent Capitalism
  • 2004, The Liberal Virus: Permanent War and the Americanization of the World
  • 2005, with Ali El Kenz, Europe and the Arab world; patterns and prospects for the new relationship
  • 2006, Beyond US Hegemony: Assessing the Prospects for a Multipolar World
  • 2008, with James Membrez, The World We Wish to See: Revolutionary Objectives in the Twenty-First Century
  • 2009, ‘Aid for Development’ in ‘Aid to Africa: Redeemer or Coloniser?’ Oxford: Pambazuka Press [4]
  • 2010, ‘Eurocentrism – Modernity, Religion, and Democracy: A Critique of Eurocentrism and Culturalism’ 2nd edition, Oxford: Pambazuka Press [5]
  • 2010, ‘Ending the Crisis of Capitalism or Ending Capitalism?’ Oxford: Pambazuka Press [6]
  • 2010, ‘Global History – a View from the South’ Oxford: Pambazuka Press [7]
  • 2011, ‘Maldevelopment – Anatomy of a Global Failure’ 2nd edition, Oxford: Pambazuka Press [8]
  • 2011, ‘Imperialism and Globalization’: Monthly Review Press
  • 2013, ‘The Implosion of Contemporary Capitalism’: Monthly Review Press [9]
  • 2016, ‘Russia and the Long Transition from Capitalism to Socialism’: Monthly Review Press
  • 2018, ‘Modern Imperialism, Monopoly Finance Capital, and Marx’s Law of Value’: Monthly Review Press

Autres contributions en Anglais écrites par Samir Amin se trouve dans ce lien:

http://monthlyreview.org/author/samiramin/

Said El Mansour Cherkaoui – Said El Mansour Cherkaoui 8/2/2019

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